Le Disbursement Acceleration Program (DAP) est un mécanisme budgétaire mis en place par le gouvernement philippin en 2011 pour accélérer les dépenses publiques en réaffectant rapidement des fonds non utilisés vers des projets prioritaires, sans passer par le processus d’approbation législative traditionnel. Lancé sous la présidence de Benigno Aquino III, ce programme visait à stimuler l’économie mais a été déclaré partiellement inconstitutionnel par la Cour suprême des Philippines en 2014.
Ce qu’il faut retenir du DAP en quelques points :
- Créé pour répondre à la sous-exécution budgétaire chronique aux Philippines
- A mobilisé environ 144-157 milliards de pesos (2,5-2,8 milliards d’euros) entre 2011 et 2014
- A permis une hausse du PIB de 3,9% à plus de 7% entre 2011 et 2013
- Déclaré partiellement inconstitutionnel pour avoir contourné les prérogatives du Congrès
- Révélateur des tensions entre efficacité administrative et contrôles démocratiques
Plongeons dans les détails de ce mécanisme controversé qui a marqué l’histoire budgétaire philippine récente.
C’est quoi le Disbursement Acceleration Program
Le Disbursement Acceleration Program représente une innovation administrative majeure dans la gestion des finances publiques aux Philippines. Lancé officiellement en octobre 2011 via la circulaire 541 du Département du Budget et de la Gestion (DBM), ce programme avait pour objectif principal d’accélérer la dépense publique en identifiant et réorientant les fonds non utilisés.
Le DAP fonctionnait comme un mécanisme permettant à l’exécutif de rassembler les “économies budgétaires” (savings) provenant de différentes agences gouvernementales pour les rediriger rapidement vers des projets jugés prioritaires. Ces projets pouvaient être existants ou nouveaux, mais devaient théoriquement contribuer à la stimulation économique.
Contrairement aux procédures budgétaires traditionnelles, le DAP permettait une réallocation flexible et rapide sans passer par le long processus d’approbation législative. Cette caractéristique, qui constituait sa force opérationnelle, est aussi devenue sa principale faiblesse juridique.
Le programme s’inscrivait dans la stratégie économique globale du gouvernement Aquino, baptisée “Daang Matuwid” (le droit chemin), qui visait à améliorer la gouvernance tout en stimulant la croissance économique après une période de ralentissement.
Origines économiques et contexte de création
Le DAP est né dans un contexte économique particulier. En 2011, l’économie philippine affichait une croissance de seulement 3,9%, bien en-deçà des objectifs gouvernementaux de 5-6%. Cette situation s’expliquait en partie par un phénomène paradoxal : malgré l’allocation de budgets conséquents, les agences gouvernementales ne parvenaient pas à dépenser efficacement les fonds qui leur étaient attribués.
Cette sous-exécution budgétaire chronique avait plusieurs causes :
- Des processus administratifs lourds ralentissant la mise en œuvre des projets
- Des contraintes procédurales limitant la capacité d’absorption des fonds
- Des mesures anti-corruption qui, tout en étant nécessaires, compliquaient et retardaient l’exécution
- Une culture administrative prudente, parfois paralysante
Face à ce constat, Florencio “Butch” Abad, secrétaire au Budget et architecte principal du programme, a conçu le DAP comme une solution pragmatique. L’idée était simple : plutôt que de laisser des fonds inutilisés dans certains départements, les rediriger rapidement vers des projets “prêts à démarrer” (shovel-ready projects) pour dynamiser l’économie.
Le programme s’inspirait partiellement de mécanismes similaires utilisés dans d’autres pays, notamment des plans de relance économique par l’investissement public, mais avec une spécificité philippine liée au contexte institutionnel local.
Fonctionnement et mécanismes opérationnels du DAP
Le DAP reposait sur trois mécanismes principaux qui constituaient sa colonne vertébrale opérationnelle :
1. Identification des “économies budgétaires” (savings)
Le Département du Budget et de la Gestion (DBM) analysait l’exécution budgétaire de toutes les agences gouvernementales pour identifier les fonds qui n’avaient pas été utilisés ou qui risquaient de ne pas l’être avant la fin de l’année fiscale. Ces fonds étaient alors déclarés comme “économies” (savings) et pouvaient être réaffectés.
2. Sélection des projets prioritaires
Une fois les fonds disponibles identifiés, l’administration sélectionnait les projets à financer selon plusieurs critères :
- Impact économique attendu (création d’emplois, effet multiplicateur)
- Rapidité de mise en œuvre
- Alignement avec les priorités nationales
- État de préparation technique et administrative
3. Réallocation et décaissement rapide
Le DBM émettait alors des autorisations spéciales d’allocation (Special Allotment Release Orders – SAROs) permettant le transfert des fonds vers les projets sélectionnés. Ce processus contournait délibérément plusieurs étapes administratives traditionnelles pour gagner en rapidité.
Le DAP permettait trois types de mouvements financiers, dont certains se sont révélés problématiques juridiquement :
- Réallocation au sein d’une même agence
- Transfert entre différentes agences (cross-border transfers)
- Financement de projets non prévus dans le General Appropriations Act (loi budgétaire annuelle)
Cette flexibilité opérationnelle constituait à la fois la force du DAP en termes d’efficacité et sa faiblesse en termes de légalité constitutionnelle.
Gouvernance, acteurs clés et montants engagés
La structure de gouvernance du DAP était relativement centralisée, avec plusieurs acteurs clés qui jouaient des rôles déterminants :
Acteurs principaux :
- Président Benigno Aquino III : autorité suprême validant les grandes orientations
- Florencio “Butch” Abad : secrétaire au Budget, architecte et gestionnaire principal du programme
- Département du Budget et de la Gestion (DBM) : organe technique responsable de l’identification des fonds et de la mise en œuvre
- National Economic and Development Authority (NEDA) : évaluait l’impact économique potentiel des projets
Entre 2011 et 2014, le DAP a mobilisé des sommes considérables. Les chiffres officiels varient légèrement selon les sources, mais on estime que le programme a réalloué entre 144 et 157 milliards de pesos philippins (environ 2,5 à 2,8 milliards d’euros).
La répartition annuelle montre une diminution progressive des montants engagés :
Année | Montant (en milliards de pesos) | Principaux secteurs financés |
---|---|---|
2011 | 72 | Infrastructures, santé, éducation |
2012 | 53 | Protection sociale, infrastructures, agriculture |
2013 | 16 | Gestion des catastrophes, éducation |
2014 | 2,5 | Projets limités avant suspension |
Ces fonds ont financé divers projets à impact rapide : construction de routes rurales, rénovation d’hôpitaux, modernisation d’infrastructures scolaires, extension du programme de transferts monétaires conditionnels (Pantawid Pamilyang Pilipino Program), et développement de systèmes d’alerte précoce pour les catastrophes naturelles.
L’impact économique du DAP a été notable. Le taux de croissance du PIB philippin est passé de 3,9% en 2011 à plus de 7% en 2013, une progression que le gouvernement a partiellement attribuée à l’effet stimulant du programme.
Controverses, débats constitutionnels et cadre légal
Malgré ses bénéfices économiques, le DAP a rapidement suscité de vives controverses juridiques et politiques. Les principales critiques portaient sur :
1. La question constitutionnelle fondamentale
Le cœur du débat concernait l’article VI, section 25(5) de la Constitution philippine, qui stipule que les transferts budgétaires doivent être autorisés par le Congrès. En contournant cette exigence, le DAP semblait empiéter sur la prérogative législative fondamentale : le pouvoir budgétaire.
2. La définition problématique des “savings”
La loi philippine permet de réaffecter des “économies budgétaires” (savings), mais définit traditionnellement celles-ci comme des fonds non dépensés à la fin de l’année fiscale. Le DAP, lui, considérait comme “savings” des fonds simplement non encore dépensés, parfois dès le milieu de l’année, une interprétation jugée extensive par de nombreux juristes.
3. Les transferts inter-branches
Le DAP permettait des transferts entre différentes branches du gouvernement (exécutif, législatif, judiciaire), ce qui soulevait des questions sur la séparation des pouvoirs.
La controverse a pris de l’ampleur en 2013 après le scandale du “pork barrel” (PDAF – Priority Development Assistance Fund), un autre mécanisme budgétaire déclaré inconstitutionnel. Bien que distincts, les deux programmes partageaient certaines caractéristiques, notamment la flexibilité dans l’allocation des ressources.
Des personnalités politiques et juridiques de premier plan ont critiqué le DAP, dont l’ancien sénateur Joker Arroyo qui l’a qualifié de “dictature budgétaire”. Des organisations de la société civile comme Bayan Muna ont déposé des recours devant la Cour suprême, arguant que le programme violait les principes constitutionnels fondamentaux.
Jugement de la Cour suprême et fin du programme
Le 1er juillet 2014, la Cour suprême des Philippines a rendu un arrêt historique sur le DAP. Par un vote de 13-0-1 (treize juges pour, aucun contre, un abstention), la Cour a déclaré inconstitutionnels certains actes et pratiques spécifiques du programme :
- La déclaration de “savings” avant la fin de l’année fiscale
- Les transferts de fonds entre différentes branches du gouvernement
- Le financement de projets non inclus dans le budget général approuvé par le Congrès
- L’utilisation de fonds non programmés sans respecter les conditions légales
Dans sa décision, la Cour a reconnu les bonnes intentions du programme mais a souligné que “la fin ne justifie pas les moyens” et que même des objectifs louables doivent être poursuivis dans le respect du cadre constitutionnel.
La décision précisait que les auteurs du programme n’étaient pas automatiquement responsables pénalement, la bonne foi pouvant être présumée, mais n’excluait pas des poursuites ultérieures si des preuves de malversation étaient découvertes.
Suite à ce jugement, le gouvernement Aquino a déposé une motion de reconsidération, obtenant quelques clarifications mais pas de renversement de la décision principale. Le programme a été suspendu immédiatement après le jugement initial et officiellement abandonné après le rejet de la motion.
Cette décision a eu un impact immédiat sur la politique budgétaire philippine, forçant l’administration à revenir à des procédures plus traditionnelles et à renforcer la coordination avec le pouvoir législatif pour les réallocations budgétaires.
Enjeux de transparence, impact économique et leçons à retenir
L’expérience du DAP offre plusieurs leçons importantes sur la gestion des finances publiques dans un contexte démocratique :
1. Équilibre entre efficacité et contrôle démocratique
Le DAP illustre parfaitement la tension permanente entre la recherche d’efficacité administrative (capacité à agir rapidement) et la nécessité de maintenir des contrôles démocratiques (validation par les représentants élus). Cette tension est particulièrement forte dans les pays en développement confrontés à des défis économiques urgents.
2. Transparence comme garde-fou essentiel
L’une des principales faiblesses du DAP résidait dans son manque relatif de transparence. Bien que les projets financés aient été théoriquement publics, les critères de sélection et le processus décisionnel restaient opaques pour de nombreux observateurs.
Les mécanismes budgétaires innovants nécessitent des niveaux de transparence supérieurs aux mécanismes traditionnels justement parce qu’ils s’écartent des procédures établies.
3. Impact économique réel mais durabilité questionnable
Sur le plan économique, le DAP a indéniablement contribué à accélérer la croissance philippine entre 2011 et 2013. Le taux d’exécution budgétaire est passé d’environ 80% à plus de 95%, permettant de concrétiser des projets qui seraient restés en attente.
Mais cette approche posait la question de la durabilité : un mécanisme déclaré inconstitutionnel ne peut, par définition, servir de fondement à une politique économique pérenne.
4. Réformes systémiques nécessaires
L’épisode du DAP a mis en lumière la nécessité de réformes plus profondes du système budgétaire philippin. Plutôt que de contourner les blocages administratifs, une approche plus durable consisterait à les résoudre à la source par des réformes structurelles.
Après la fin du DAP, les Philippines ont effectivement engagé plusieurs réformes dans ce sens, notamment l’amélioration des systèmes de planification budgétaire et le renforcement des capacités d’exécution des agences gouvernementales.
Le DAP reste aujourd’hui un cas d’étude fascinant pour les spécialistes des finances publiques et du droit constitutionnel. Il illustre comment des initiatives bien intentionnées peuvent se heurter aux limites constitutionnelles lorsqu’elles négligent les principes fondamentaux de séparation des pouvoirs.
Pour les Philippines comme pour d’autres démocraties en développement, le défi reste entier : comment concilier agilité administrative et rigueur constitutionnelle dans la gestion des finances publiques? Le DAP n’a pas résolu cette équation, mais a certainement contribué à en préciser les termes.

Alexandre Martin, consultant indépendant en reprise d’entreprise et growth strategist, transforme chaque acquisition en succès mesurable grâce à son double bagage finance & marketing. Sur Plan-Reprise-Activité.com, il partage méthodes 80/20, check-lists actionnables et outils IA pour rendre la reprise simple et rentable.